04/09/2025
Plume d'oiseau
ALFANIA (2/5)
LA PROSTITUTION
Les loyers étaient payés au noir, partagés par la douzaine de filles qui vivaient là. Je devais débourser dix mille francs par mois. Je n’étais pas naïve. Je savais depuis le début qu’il faudrait que je gagne ma vie. Pour payer la chambre, la nourriture, les ci******es. Et je savais aussi comment il faudrait s’y prendre. Le jour où j’ai fugué, je suis allée directement, fièrement, rejoindre mon amie pour me prostituer.
Je n’ai pas eu le sentiment de vivre la prostitution sous la contrainte. Elle m’a permis, bien sûr, de payer mes loyers, mais aussi d’affirmer mon identité, de façon très intime. J’ai grandi, gagné en confiance, en détermination. Je me suis endurcie aussi. L’achèvement de ma transition psychologique.
Dans les premiers temps, je continuais le collège. J’avais des potes et j’aimais apprendre. Il m’arrivait parfois de penser que les profs ne m’acceptaient pas, alors que c’était juste mon côté provocant qui les dérangeait. Puis j’ai compris que je devais être un peu plus discrète et je me suis mise à respecter les codes vestimentaires, à contrecœur, mais je les respectais.
Deux à trois fois par semaine, je quittais l’immeuble à 4 heures du matin pour me rendre à l’ancien hôtel Ibis où avaient lieu les passes. Quand les clients étaient sympas, ils me déposaient ensuite au collège. J’ai pu ainsi terminer ma quatrième.
Quand l’amour d’une mère ne suffit pas à étouffer les sarcasmes du monde.
RETOUR CHEZ MA MÈRE
En 2010, l’immeuble où vivait notre petite communauté a fermé pour rénovation. Depuis plusieurs mois, un bras de fer tendu entre le propriétaire, Edgar, et les locataires nous laissait craindre le pire. J’avais 16 ans. Je me sentais femme et prête à regarder ma mère dans les yeux.
Elle a ouvert chaleureusement sa porte à sa fille. Elle vivait alors avec son nouveau compagnon. On ne me faisait pas de reproches. Pas directement. Mais je surprenais de plus en plus de disputes entre eux, et je savais fort bien que c’était à mon sujet. Ma mère me défendait. Il me semblait que ma présence mettait en danger l’équilibre du couple.
Il n’était pas question de faire du tort à ma mère. Alors j’ai refait mon sac, et je l’ai rassurée du mieux que je pouvais. Oui, j’avais des amis à Papeete. Oui, j’allais les rejoindre. Yola, Mélanie, Daphnée, Rebecca, les deux jumelles et Latika.
Apprendre à sourire sur des cartons mouillés.
A suivre...
© Texte - Hélène El'ma Mathieu et Alfania - 2025
© - Crédit photo - Doris RAMSEYER - 2024