30/01/2025
Sentiments
Un des grands ennemis de l’éducateur canin est l'anthropomorphisme, qui consiste à prêter des sentiments, des pensées ou des comportements humains à un animal. C’est ainsi qu’on entend régulièrement dans le cadre d’une séance qu’un chien serait “jaloux” d’un congénère ou d’un humain ou qu’il se sentirait “coupable” face à une “bêtise” commise par ses soins. Si nous réagissons souvent au premier en insistant sur une possible “protection de ressource” et que nous expliquons dans le deuxième cas que son visage figé et tendu n’est qu’une preuve de réaction de malaise face à notre animosité, c’est parce que le vocabulaire est fondamental et qu’il évite d’oublier qu’un chien n’est pas un être humain et que la part d’animalité qui lui est propre doit être entendue, comprise et respectée.
Mais paradoxalement, tout “spécialistes” du chien que nous sommes, nous affirmons tout aussi souvent que notre chien nous aime et que nous l’aimons en retour. Or, y a-t-il concept plus humain que l’amour ? Cela veut-il dire que notre compagnon est incapable d’aimer ? Ou que cet amour que nous lui portons n’existe que dans une représentation fantasmatique à l’intérieur de nos esprits, justifiant toutes les critiques qui nous assènent à longueur de journée que notre chien n’est pas notre “bébé”, qu’il ne fait pas partie de la famille ou, pire, que nous ne sommes que le “chef de la meute” ?
Ce soir, je voulais juste vous partager ma réflexion à ce sujet : indubitablement, j’aime mon chien et je crois à cette réciprocité. Il n’y a là-dedans bien sûr aucun désir passionnel, pas plus que de lien de filiation, ou encore d’amitié réciproque : cela signifierait que les simples concepts de confiance et de compréhension parfaite et fine sont accessibles à l’un comme à l’autre et, souvent, notre extraordinaire N’Joy aurait toutes les raisons de se méfier du monde qui l’entoure. Non, je crois que cet “amour” n’a rien d’humain et qu’il n’est pas plus canin. Cet attachement inexplicable, ce besoin de présence, ce don perpétuel qui trouve un écho immédiat en retour, rien ne peut l’expliquer.
Et, pour tout vous dire, je trouve cela extraordinaire. Voilà un sentiment qui n’a pas de nom mais qui se révèle d’une puissance à couper le souffle, et ceux d’entre nous qui ont malheureusement vécu la perte inconsolable de leur compagnon peuvent durement en témoigner. Tout prof de français que je suis, je ne me sens aucune légitimité pour lui donner un nom, mais son unicité, sa singularité le rendent si précieux que je plains celui ou celle qui n’aura jamais le bonheur de l’accepter dans sa vie. Est-ce le temps dissymétrique de nos existences qui l’amplifie ? Peut-être… Mais dorénavant, lorsqu’on vous reprochera au quotidien d’”aimer” trop votre binôme poilu, répondez-leur de ma part que vous ne l’”aimez” pas : dites-leur que c’est trop réducteur et que ce sentiment est bien plus fort et complexe que cela.
Stéphane Brunel,
CynoSymbio