14/04/2025
Les boucles d'oreille en or de la momie partie en poussière
A l'automne 1857, après trois ans "d'absence", Auguste Mariette est de retour en Egypte afin de préparer la visite du prince Napoléon ("Plonplon"). Pour cette mission "diplomatique", il bénéficie de solides appuis et recommandations (notamment de Ferdinand de Lesseps), ce qui lui vaut un excellent accueil de Saïd Pacha. Ce dernier met ainsi tout en œuvre pour lui faciliter la tâche. Mariette se permet alors de l'alerter sur une nécessaire préservation et sauvegarde des monuments pharaoniques : le vice roi s'avère très réceptif à cette suggestion.
Le 25 mars 1858, Camille Ferri-Pisani, secrétaire du prince Napoléon, écrit au souverain d'Égypte ces mots en faveur de Mariette : "Si votre altesse royale demandait à la France le concours d'un savant pour protéger son patrimoine et créer un musée, le gouvernement ne désignerait pas un autre homme que lui." Ce conseil sera-t-il décisif, voire déterminant ?
Toujours est-il qu'un important décret - dont voici un extrait - est édicté : "Monsieur Mariette veillera au salut des monuments… Il dira aux moudirs des provinces que le roi leur interdit de toucher toute pierre antique…" Le 1er juin 1858, il est nommé "mamour" - c'est-à-dire directeur - du tout nouveau Service des Antiquités de l’Égypte.
A bord du "Samanoud", une dahabieh que le vice-roi a mis à disposition, Auguste Mariette, accompagné de son collaborateur Théodule Devéria, remonte le Nil, afin d'expertiser l'état des sites. A la suite de cette inspection, il arrêtera une liste de 35 chantiers de fouilles qui emploieront plus de 2500 hommes ! On y trouve Tanis, Memphis et Saqqarah, Thèbes et Deir el-Bahari, Esnah, Edfou, Denderah, et puis Abydos, … où son profond et intime désir est d'y trouver le tombeau d'Osiris…
Mais ce lieu de culte, cette terre "consacrée par excellence", sur laquelle les pharaons ont fait construire des temples magnifiques et où les pèlerins affluaient dévotement, a perdu toute sa splendeur passée… Mariette ne trouve que ruines … "un immense champ de débris" écrit-il. En 1859, les fouilles débutent ; il les relatera dans plusieurs volumes …"Par malheur, on n’a trouvé aucune trace du grand temple qui, bâti en calcaire, a été certainement converti en chaux. Le tombeau d’Osiris et le puits décrit par Strabon ont disparu" …
Mariette s'emploie à déblayer les temples de Séthi et de Ramsès II. Il trouve de nombreux "ex-voto accumulés formant un véritable trésor scientifique" et, au total, six mille monuments, stèles, statuettes, objets de culte, etc…, seront sortis d'Abydos".
En juin 1859, alors qu'il fouille l'Osérion il fait une incroyable découverte qu'il relate ainsi dans "Abydos : description des fouilles" : "Nous avons trouvé, enfoncée et noyée à un mètre de profondeur dans le sol, une construction rectangulaire en briques crues, surmontée, à la mode du temps, d'une voûte également en briques. Dans l'intérieur était un cercueil en bois, et dans le cercueil en bois une momie. Tout cela est vierge. Malheureusement l'humidité avait atteint le cercueil, et le bois était si complètement pourri qu'il cédait, comme de l'amadou, sous la moindre pression du doigt. Quelques lettres d'une légende écrite à l'encre noire étaient encore visibles. La momie, de son côté, n'était pas en meilleur état ; à peine la voûte était-elle enlevée qu'elle se gerça, s'affaissa sur elle-même, et, au bout de quelques minutes, tomba en poussière. Ni son nom ni même son sexe n'ont pu être constatés. L'absence d'uraeus sur le front montre qu'il ne s'agit pas d'une momie royale. Des bijoux d'or la décoraient. L'étude des restes de la momie a prouvé que ce n'était pas à l'intérieur qu’on les avait déposés, mais à l'extérieur et en dehors des bandelettes auxquelles ils étaient cousus d'après un dessin que, naturellement, il a été impossible de reconstituer. Deux grosses boucles d'oreille avaient été soigneusement posées sur le fond du cercueil, de chaque côté de la tête, des ornements de laquelle elles semblent bien n'avoir jamais fait directement partie. C'est à Abydos, dit le Pseudo-Plutarque, qu'on enterre les plus riches et les plus considérables d'entre les Égyptiens, qui, tous, ambitionnent d'avoir une sépulture commune avec Osiris'. Nul doute que le personnage dont la momie vient d'être décrite ne soit un de ceux qui ont obtenu la faveur spéciale d'être enterrés dans l'enceinte du temple d’Osiris."
Voici un court extrait de la présentation que fait Gaston Maspero de ces pendants d'oreille dans son "Guide du visiteur au musée de Boulaq" de 1883, sous le numéro 3447. "De chaque côté de la tête étaient disposées deux boucles d'oreille, formées d'un gros disque garni à la circonférence d'une gorge de poulie. D'un côté du disque, on voit cinq uraeus, de l'autre, le nom et le prénom de Ramsès XIII. Cinq uraeus coiffées du soleil sont suspendues au-dessous et soutiennent sept autres uraeus pareilles au bout de sept chaînettes en or. Des boucles de cette taille ne se portaient pas aux oreilles : on les attachait à la perruque, de chaque côté de la figure. - XXe dyn. Abydos".
Dans "L'archéologie égyptienne", ouvrage publié en 1887, il les évoquera ainsi, sans concession : "Les boucles d'oreille de Ramsès IX, au musée de Boulaq, sont un composé disgracieux de disques chargés de filigrane (...) de chaînettes, d'uraeus pendants comme aucune oreille humaine n'aurait pu en porter le poids sans s'allonger outre mesure ou sans se déchirer".
D'une hauteur de 16 cm, d'un poids de 108 grammes, elles sont réalisées en or et portent un cartouche attribué, selon les sources, à Ramsès IX, XI, XII ou XIII.
Dans son "Catalogue général des antiquités égyptiennes du Musée du Caire - Bijoux et orfèvreries" publié en 1909, l'égyptologue Emile Vernier (qui les attribue à Ramsès XII), en fait, sous les références CG 52323 - 52324, une description extrêmement minutieuse.
Il détaille notamment la conception des pendeloques qui : "sont composées exclusivement d'uraeus de face, coiffés du disque solaire; le rang en contact avec la partie supérieure est composé de cinq uraeus. Les disques, les parties renflées des capuchons, et les parties inférieures sont autant de points de réunion. Le revers est découpé dans une seule plaque. Ce rang est donc rigide; il est relié à la partie supérieure par une charnière dont la goupille traverse toute la largeur du bijou. Sous cette bande, rigide, mais articulée par la charnière, pendent sept chaînettes qui supportent un nombre égal d'uraeus ; ceux-ci sont indépendants les uns des autres et se heurtent et se chevauchent au moindre mouvement".
Nous ne saurons jamais à qui ont appartenu ces boucles d'oreille, ni à quel pharaon ramesside elles se réfèrent précisément… Mais ce dont nous ne pouvons douter, c'est que ce bijou, par sa qualité et sa facture qui témoignent d'une maîtrise affirmée du travail de l'or, a dû être offert à une personne très chère, et qu'il devait l'accompagner dans son éternité …
Elles ont été enregistrées au Journal des Entrées du Musée du Caire JE 6085 - JE 6086 et au Catalogue Général CG 52323 - CG 52324.
marie grillot
Illustration : Boucles d’oreille de Ramsès IX (ou "XI - XII - XIII" ?) - or - XXe dynastie - découvertes dans le temple d'Osiris à Abydos en juin 1859 par Auguste Mariette pour le Service des Antiquités - Musée Egyptien du Caire - JE 6085 - JE 6086 - CG 52323 - CG 52324
sources de l'article et illustrations complémentaires sur egyptophile
https://egyptophile.blogspot.com/2016/05/les-boucles-doreilles-en-or-de-la-momie.html