15/07/2025
Une trop belle histoire qui mérite d'être partagée.
Cheminer, c’est aussi témoigner… et transmettre
Troisième épisode — Donald du Bréau, ou le prix de la confiance retrouvée
En 2000, j’ai croisé la route d’un cheval exceptionnel mais désabusé : Donald du Bréau. Deux ans plus tôt, il avait brillé, remportant la finale des six ans à Fontainebleau. À ce moment-là, tout semblait réuni pour une grande carrière.
Son propriétaire, Raphaël Dulin — éleveur reconnu de l’élevage de Coquerie —, l’avait alors confié à un cavalier pour accompagner sa progression vers le haut niveau. Mais au fil du temps et pour différentes raisons, le cheval se dégradait. À huit ans, Donald était à bout : rétif, refermé, méfiant vis-à-vis de l’homme. En piste, il s’arrêtait et se bloquait dans les angles. Il ne se laissait plus approcher au box, ni attraper en prairie. Son comportement traduisait un profond mal-être, autant physique que mental.
Raphaël était désemparé. Il regrettait d’avoir refusé d’importantes offres lorsqu’il était au sommet… et voyait désormais son cheval sombrer. C’est à ce moment-là qu’il me demanda d’intervenir. Et me confia Donald.
J’ai alors tout repris à zéro. J’instaurai un rapport de proximité réel, passai beaucoup de temps à ses côtés, le récompensai souvent. Il était littéralement traumatisé.
Mes méthodes surprenaient : malgré son passé en Grands Prix, je ne l’engageais que sur de petites épreuves à 1,15 m. Je le détendais au paddock avec les deux rênes longues dans une main. Le matin, je le montais sans selle, afin de soulager son dos endommagé, et simplement en promenade. Je lui faisais un mini paddock avec des piquets en plastique, où je restais longuement avec lui. Quand ce n’était pas possible, je le faisais marcher en main et brouter, longuement…
Ces routines ont éveillé la curiosité de nombreux cavaliers. Elles ont donné lieu à de belles discussions, dont une que je n’oublierai jamais, avec un immense cavalier que j’admire profondément : Éric Navet.
Peu à peu, Donald a retrouvé son calme. Puis, sa puissance. Puis, son envie. Pour son premier Grand Prix depuis longtemps, au CSI d’Alençon (en indoor, sur 1,50 m), il réalisa un double sans faute. Le lendemain, les journaux locaux titrèrent :
« Le retour de Donald du Bréau. »
À partir de là, ce petit cheval sensible et valeureux est devenu de plus en plus régulier. Il nous a même permis de participer au Championnat de France.
Entre-temps, je l’avais racheté en totalité. Puis, une belle offre me parvint : Peter Wylde, tout juste vice-champion du monde, souhaitait l’acquérir. J’acceptai de lui vendre la moitié, en insistant sur le fait que le cheval était « particulier » et qu’il devait suivre des recommandations précises, que je lui remettais par écrit.
Mais après cinq concours, Donald recommença à s’arrêter. Peter, professionnel et lucide, décida de me le restituer. Je repris son travail… et il retrouva très vite le niveau des Grands Prix.
Un ami italien, séduit par le cheval, me racheta d’abord la moitié, puis la totalité — à l’occasion du mariage de sa fille avec un cavalier international. J’acceptai, sous conditions : interdiction de revente et engagement à lui assurer une belle retraite à vie. Là encore, je transmis deux pages de recommandations détaillées.
Quelques mois plus t**d, lors du CSIO de Rome, Donald signa un sans-faute au premier tour avec son nouveau cavalier, Giuseppe D’Onofrio. Mais au barrage, il se bloqua dans un angle et fut éliminé. Inquiet, le propriétaire m’appela. En discutant, j’ai vite compris. Giuseppe m’avoua ensuite — après m’avoir pris pour un original — qu’il n’avait jamais lu les recommandations.
À partir de là, tout rentra dans l’ordre. Une fois respecté dans ses besoins, Donald redevint performant. Et le couple connut de nombreux succès.
Cette histoire — comme tant d’autres dans une vie de cavalier — m’a rappelé une chose essentielle :
chaque cheval porte en lui son passé, ses fragilités, ses limites… mais aussi un potentiel immense, si l’on prend le temps de l’écouter.
Il ne suffit pas d’être un bon technicien. Il faut être un partenaire attentif, humble, patient. Adapter sa méthode, son rythme, son exigence à ce que le cheval est capable de donner.
Donald m’a appris cela mieux que quiconque.
Il m’a montré qu’un cheval blessé peut redevenir un champion — à condition d’être compris.
À demain, j’espère, pour le prochain et avant dernier épisode.
Sportivement vôtre, Éric