
07/14/2025
J’ai appelé la clinique pour faire euthanasier ma chienne.
On m’a répondu : “Il n’y a pas de place aujourd’hui.”
Et c’est là que j’ai compris que, comme parent-chien et pour le bien-être de nos chiens, on avait perdu quelque chose de précieux.
C’est un sujet délicat. J’ai longtemps attendu avant d’en parler.
Mais là, je ne peux plus me taire.
Parce que ça touche directement ma communauté,
ça touche directement les chiens,
et parce que je viens de le vivre. Personnellement.
Depuis un bon moment déjà, je voyais le problème, j’en entendais parler.
Quand les reportages à La Facture et Enquête sont sortis en janvier, sur l’achat massif des cliniques vétérinaires par de grandes multinationales et leur impact sur l’accès et le coût des soins et des médicaments, je me demandais quoi en penser.
Est-ce que je devais réagir publiquement ou pas ?
J’observais, je prenais du recul.
Mais là, en l’ayant vécu dernièrement, j’ai réalisé l’ampleur du problème.
Je ne peux plus me taire.
Je ne suis pas bien avec ça,
ni comme professionnelle agronome,
ni comme leader dans mon domaine,
ni comme CEO d’une entreprise qui a au cœur de sa mission le bien-être et la santé des chiens.
Je vais être honnête…
Si j’ai mis autant de temps avant d’en parler, c’est aussi parce que j’avais peur.
Pas peur de dire ce que je pense, mais peur d’être mal comprise, peur des représailles.
Peur qu’on pense que je vise les mauvaises personnes.
Parce que je le pense vraiment :
les vétérinaires sont essentiels pour le bien-être de nos chiens.
Et je sais que plusieurs vivent cette situation avec autant de frustration que nous.
Mais à un moment donné, il faut nommer les choses.
Parce que ce silence-là, il ne sert plus personne.
Et moi, de plus en plus, j’ai envie de dire les vraies affaires.
Sur ce qu’on vit comme parent-chien.
Sur les systèmes qui, parfois, sont victimes du capitalisme.
Et sur les conséquences bien réelles de tout ça sur nos chiens.
Je vous raconte.
Un samedi matin en juin dernier, on a dû prendre une décision qu’aucun parent-chien ne veut prendre :
celle de faire euthanasier notre chienne, Moon, parce qu’elle était en souffrance.
C’est jamais une décision qu’on prend à l’avance.
Ce n’est pas quelque chose que tu planifies deux semaines d’avance.
Tu regardes ton chien, tu l’observes, tu ressens.
Et à un moment donné, tu sais que c’est le temps.
Pas pour toi. Pour lui.
Alors ce matin-là, on a appelé notre clinique de quartier pour laisser partir Moon et abréger ses souffrances.
Une clinique avec qui on fait affaire depuis 30 ans, mais qui a récemment été achetée par une grande corporation.
Mais la réponse a été simple et nous a frappés comme un coup de 2x4 dans le front, comme on dit si bien :
“Il n’y a pas de place aujourd’hui pour Moon.”
Il y avait un vétérinaire sur place.
Mais non, c’était complet.
Et c’est tout ce qu’on nous a dit.
La personne à l’accueil faisait son travail. Elle suit les consignes.
Mais il n’y avait plus rien à faire pour nous, ce jour-là.
Même si on était clients depuis plus de 30 ans, même si notre chien était en souffrance.
Voir ton chien souffrir, et sentir que tu ne peux rien faire…
C’est un des pires sentiments que j’ai vécus.
On a appelé d’autres cliniques autour.
Mais puisqu’on n’avait pas de dossier chez elles, la réponse a été : non.
Et là, tu te retrouves dans une sorte de panique…
Pas une panique de peur.
Une panique d’impuissance.
Ton chien souffre.
Et t’es pris dans un système où plus personne ne peut ou ne veut t’aider.
Heureusement, on a trouvé une clinique d’urgence, le DMV Vet à Québec, qui appartient encore à des vétérinaires.
Et ils ont pu nous accueillir et nous aider à mettre fin aux souffrances de notre chienne. Mais évidemment, il y avait des coûts supplémentaires puisque c’est une clinique d’urgence, et pour nous, il n’y avait pas d’enjeu financier heureusement.
Mais c’est seulement à ce moment-là que j’ai pu respirer.
Et honnêtement… j’avais gardé espoir.
Parce que dans la vie, je suis une personne positive. Je crois en l’humain.
Je croyais que, même si notre clinique avait été rachetée par une grande corporation, on allait continuer à recevoir un service humain, axé sur le bien-être animal avant tout.
Mais ce n’est pas ce qui s’est passé.
Avant, quand notre clinique appartenait à un vétérinaire, c’était différent. Quand on avait dû faire euthanasier Henry, on avait eu un rendez-vous… à 11 h du soir. Ils nous avaient accueillis avec respect. Avec humanité. Avec douceur.
Aujourd’hui, ce lien-là est brisé.
Pas à cause des personnes.
À cause du système.
Un système où les décisions ne sont plus prises par les gens sur le terrain.
Un système où l’argent décide.
Et où les humains — parents-chiens, vétérinaires, techniciennes en santé animale — et les chiens deviennent des numéros et des leviers pour faire plus de cash.
Et ce qui me fâche le plus,
c’est que ce sont les chiens qui en paient le prix.
Quand t’as plus accès aux soins rapidement,
quand ton chien souffre, c’est lui qui subit.
Et quand, en plus, on pense à toutes les familles qui n’ont pas les moyens de se tourner vers les cliniques d’urgence…
on comprend à quel point on a un vrai problème.
Ce système, tel qu’il est en train de se mettre en place, n’aide personne.
Il ne soutient pas les parents-chiens.
Il ne respecte pas le lien qu’on tisse avec nos chiens.
Il met une pression énorme sur les vétérinaires, les techniciennes en santé animale, qui sont déjà à bout.
Et il contribue à une perte de confiance généralisée.
Quelques faits qu’on ne peut pas ignorer :
38,6 % des vétérinaires québécois vivent de la détresse psychologique. 12 à 16 % rapportent avoir déjà eu des idées suicidaires (OMVQ, 2023)
26 % des cliniques vétérinaires au Québec sont la propriété de multinationales, 40 % des vétérinaires y travaillent (Vallières, 2023)
Il y a encore, heureusement, des cliniques qui appartiennent à des vétérinaires passionnés, qui se battent pour garder leur clinique de quartier vivante.
Et je lève mon chapeau à ces personnes-là.
Mais elles sont de plus en plus rares.
Comme parent-chien, je pense qu’on a aussi un certain pouvoir.
Hier, je faisais un sondage sur mon Instagram qui posait la question suivante :
Savez-vous à qui appartient votre clinique vétérinaire ?
Résultats :
• 28 % corporation/multinationales
• 47 % un ou des vétérinaires
• 25 % je ne sais pas
On voit donc que les parents-chiens savent pour la plupart, mais qu’il y a encore 25 % des parents-chiens qui ne sont pas au courant de cette situation.
Si c’est votre cas, je vous invite à écouter les reportages des émissions La Facture et Enquête sur le sujet pour vous informer.
Même si chaque situation est différente et que chacun fait de son mieux, on peut quand même réfléchir à l’impact de nos choix.
Par exemple, le fait d’encourager une clinique qui appartient encore à des vétérinaires peut assurément contribuer à préserver un certain équilibre.
Ce n’est pas toujours possible. Ce n’est pas une vérité unique.
Mais c’est le genre de réflexion qui, je crois, mérite d’exister.
Pour ma part, c’est certainement vers là que je vais me diriger quand j’en aurai besoin pour mes chiens, fini pour moi les cliniques appartenant à des multinationales.
Parce qu’au fil du temps, nos décisions individuelles peuvent aussi participer à un changement plus grand.
Alors non, je ne suis pas là pour blâmer.
Et surtout pas les vétérinaires.
Je les respecte trop pour ça.
Je sais à quel point ils jouent un rôle essentiel quand la santé de nos chiens ne va pas bien.
Mais ce que je vise aujourd’hui,
c’est un système qui est sérieusement malade.
Un système où les décisions humaines sont remplacées par des tableaux Excel.
Un système qui remplace le bien-être animal par le profit.
Un système où même les meilleurs vétérinaires n’ont plus le pouvoir de faire ce pourquoi ils ont choisi ce métier :
aider, accompagner, soigner, respecter.
Et c’est ça qu’on ne peut plus ignorer.
Il faut regarder le système en face.
Il faut avoir le courage de dire que ce qu’on voit en ce moment,
c’est le résultat d’un vide réglementaire inquiétant.
Un manque de balises claires, un manque d’encadrement,
dans un secteur où les impacts humains et animaux sont pourtant majeurs.
Quand une industrie vit un virage corporatif aussi massif,
où sont les garde-fous ?
Qui protège les familles ? Qui protège les animaux ? Qui protège même les vétérinaires ?
Parce que c’est aussi ça, notre rôle, comme société.
C’est de mettre en place des systèmes qui servent le bien commun.
Des systèmes qui respectent la vie.
Des systèmes qui protègent les plus vulnérables.
Et c’est aussi le rôle de nos gouvernements — et des ordres professionnels concernés — d’assurer que le système reste au service du public.
De s’assurer que l’accès aux soins pour nos animaux reste humain, éthique, viable…
même et surtout quand l’argent entre dans l’équation.
On ne parle pas de n’importe quoi ici.
On parle de vie.
On parle de la vie de nos chiens.
Et j’ose croire qu’on peut faire mieux.
En fait, il faut absolument faire mieux.
Pas contre les vétérinaires. Avec eux.
Karine Simard, Agronome, Parent-chien x 3, Fondatrice de Pattedeau bio
Références:
Bartram, D. J., & Baldwin, D. S. (2010). Mental health and wellbeing in the veterinary profession. Journal of the American Veterinary Medical Association, 236(7), 682–689.
Ordre des médecins vétérinaires du Québec. (2023). Portrait de la santé mentale chez les vétérinaires québécois.
Vallières, A. (2023, janvier). Quand les multinationales achètent votre clinique vétérinaire. Policy Options.