07/06/2025
🐾 « MORDEUR COLLIE » POUR LA VIE ! 🐾
Il fut un temps où je n’aimais pas trop les Border collies. Je les trouvais serviles, toujours collés aux pieds de leur humain, incapables de prendre des décisions par eux-mêmes. Je les trouvais jolis, vifs, sympathiques, mais relativement inintéressants, et j’étais loin de rêver de partager ma vie avec l’un d’eux. En fait, je n’avais rien compris. Ce n’est que plus t**d, en accueillant par hasard Indiana à la maison, et surtout en découvrant le plaisir incommensurable du travail au troupeau avec lui, que j’ai commencé à saisir l’essence du Border collie.
Avant Indy, il y a eu Lipton. C’est le premier Border avec lequel j’ai vécu. Il est resté quatre mois à la maison. Lipton appartenait à des clients qui l’avaient acheté à un agriculteur. Eux qui rêvaient d’un chien de compagnie un peu sportif, qui pourrait les accompagner partout, ont malheureusement très vite déchanté. Lipton faisait partie de ceux que j’appelle les « Mordeurs collies », de ceux-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom, parce qu’un Border c’est forcément gentil, si on l’éduque avec beaucoup d’amour et de patience.
Ben non. Un Border, c’est avant toute chose un chien beaucoup plus sensible aux stimulations visuelles et auditives que les autres races. Il réagit très vite à tout, (un chien de troupeau ne doit pas réfléchir pendant dix minutes avant d’aller récupérer la brebis que le berger lui demande d’aller chercher) ce qui présente des avantages, mais aussi des inconvénients : un Border mal à l’aise devant une personne pourra passer à la morsure en un claquement de doigts, et parfois sans « raison évidente ». Un geste mal interprété, un coup d’oeil de travers, et c’en est trop pour cet hypersensible qu’est le Border collie. Je ne fais pas là une généralité : la plupart des Borders ne mordent pas. Mais les « Mordeurs collies » existent, et il faut en prendre conscience, parce que ces pauvres chiens connaissent souvent un sort dramatique. Au mieux, leurs humains les gardent en « faisant avec », et ils peuvent améliorer un peu la situation avec l’aide d’un éducateur (en POSITIF absolument, le Border est un chien très émotif qui ne supporte pas les méthodes coercitives). Au pire, ils choisiront l’euthanasie.
Lipton fait partie de ceux qui ont eu de la chance. Je l’ai récupéré, il a été placé sous association, a côtoyé de nombreux chiens et humains pendant quatre mois, ce qui l’a peu à peu aidé à répondre moins intensément aux stimulations environnantes. Il était loin d’être devenu parfait, il demeurait tout de même un chien réactif, mais au bout de quatre mois, cela ne l’a pas empêché de trouver des adoptants formidables. Ils l’ont accepté tel qu’il était, et aujourd’hui, ils l’aiment plus que tout, même si la muselière est devenu pour eux un outil aussi commun que la laisse et le collier. Peu importe, Lipton a illuminé leur vie comme il a illuminé la mienne pendant ces quatre mois d’accueil. J’ai eu un coup de cœur énorme pour ce chien, toujours prêt à partager des activités avec moi, à apprendre de nouvelles choses, un véritable compagnon de vie à qui il ne manquait même pas la parole tant il était capable de tout comprendre et de tout exprimer.
Peu de temps après, j’ai accueilli Indiana. Âgé de quatre ans, Indy mordait, et ses propriétaires redoutaient de plus en plus ses réactions. En creusant un peu, j’ai compris qu’il avait reçu une « éducation » coercitive (son propriétaire m’avait avoué avoir été « très dur avec lui ») et il avait pris le réflexe de mordre par auto-défense. Je commençais à connaître un peu mieux les Borders et je savais qu’il ne s’épanouirait pas dans ce contexte. Je l’ai accueilli, sous contrat d’association également, dans le but de le replacer par la suite. Petit à petit, j’ai découvert son autre « travers », qu’il conservera jusqu’à la fin de sa vie : acheté bébé dans une ferme de canards destinés au gavage (et donc, comme Lipton, issu de parents qui travaillaient), ses instincts de berger sont très développés, et Indy ne peut pas s’empêcher de gérer chaque mouvement comme il le ferait avec des canards ou des brebis : et si ça ne file pas droit, il mord !
Constatant cela, j’ai décidé de mettre Indy au troupeau. J’avais déjà eu l’occasion de découvrir cette discipline dans deux structures en Gironde et je rêvais de m’y mettre plus sérieusement. Aujourd’hui, soit 8 ans après son arrivée à la maison, Indiana est toujours là. Il est officiellement mon chien, et nous partageons cette même passion pour la conduite de troupeaux d’ovins. Il m’en a pourtant fait voir de toutes les couleurs, parce qu’un chien à l’instinct très prononcé n’est pas nécessairement un excellent chien de berger (et je suis loin d’être une excellente conductrice !). Indy n’a pas une très bonne « dressabilité » au troupeau, mais avec l’âge (et l’arthrose!), il s’est beaucoup assagi.
Le travail au troupeau fait beaucoup de bien à Indy et l’aide à canaliser son instinct. J’ai appris à le stopper dans toutes les situations, ce qui s’avère bien utile au quotidien ! Et surtout, son besoin de gérer le mouvement est comblé. Malgré tout, il reste un chien qui peut mordre : ses expériences nouvelles n’effacent pas son passé. La caresse, par exemple, si elle ne vient pas de moi, revêt pour lui un caractère ambigu. Il lui arrive de se laisser caresser par une tierce personne, mais un micro-geste mal interprété déclenchera une morsure. En présence d’inconnus, je précise bien de ne pas le caresser ou le bloquer involontairement quelque part. Cela ne changera pas, même avec une propriétaire éducatrice : Indy bouillonne d’émotions et, avec un passé de chien traité à la dure, pas étonnant qu’il ne comprenne pas bien l’humain. Je ne lui en veux pas pour cela et je l’accepte.
Les Borders qui mordent le font généralement pour les raisons citées plus haut : à cause de mauvaises associations avec l’humain, dues à une expérience négative ou à une socialisation de piètre qualité, ou à cause de leur volonté atavique de gérer le mouvement. Mais un petit pourcentage d’entre eux ont tendance à être réactifs alors même qu’ils ont reçu une bonne socialisation. Ma théorie est que, le Border collie étant un chien créé pour le travail et non pour la compagnie, il n’a été mis aucun accent sur sa docilité lors du développement de la race. Tant qu’il travaillait bien et n’était pas agressif envers son maître, c’était le principal. Après tout, un berger dans les Highlands qui croisait deux âmes en six mois n’avait pas franchement besoin d’un chien amical envers les inconnus. Même avec ses congénères, le Border est parfois très snob, comme s’il n’y avait que son maître et le travail qui comptait, et rien d’autre.
J’ai croisé la route de plusieurs autres « Mordeurs collies » depuis ma rencontre avec Lipton. Samy, Marley, Hobo en ont fait partie. Comme bien d’autres, dans des refuges qui ont bien voulu les accueillir ou chez des propriétaires désemparés mais qui tiennent à leur chien malgré tout. D’autres sont partis au paradis des chiens, juste pour avoir été des Borders, des animaux créés par l’humain pour réagir très vite à tout, et tués pour les mêmes raisons. Des chiens faits pour les grands espaces solitaires et qui se retrouvent dans des environnements sur-stimulants où le mouvement et le bruit sont partout autour d’eux, où les vélos les frôlent à toute vitesse, où les enfants crient et où des inconnus veulent les caresser. Je ne dis pas que tous les Borders élevés comme chiens de compagnie sont malheureux : j’en connais même qui n’en ont rien à faire des moutons, et qui préfèrent un petit footing quotidien et une bonne sieste sur le canapé au retour, plutôt qu’une vie de chien de berger.
Mais n’oubliez pas que le Border est avant tout un chien sélectionné pour le travail, et qu’en acquérant un chiot de cette race, vous ne saurez jamais ce qui vous attend. Votre Border ne sera peut-être jamais comme celui du voisin, qui se promène partout sans laisse et réclame des caresses à tous les gamins du quartier. Vous hériterez peut-être d’un « Mordeur collie », qui ne tolérera pas grand-monde à part vous, et qui vous attirera des regards de reproche de la part de vos invités (« Ben quoi, il m’a grogné dessus, tu ne lui mets pas une baffe ? Non parce que, si c’était mon chien, il ne ferait pas ça -bla-bla-bla... »). Peut-être l’accepterez-vous malgré tout, parce que vous aurez compris que ce chien a un cœur énorme mais des aptitudes sociales inexistantes. Si c’est le cas, je vous souhaite tout le bonheur du monde avec votre « Mordeur collie ». Si vous n’êtes pas prêt à accepter cette éventualité, alors n’optez pas pour cette race. Ce serait dommage qu’une autre âme noire et blanche aille rejoindre le paradis des chiens.
Elsa Weiss / Cynopolis
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