27/10/2025
Le sentiment est sans doute la plus mystérieuse des qualités du cavalier. On en parle comme d’une chose qui ne s’enseigne pas, qui s’affine, qui se reçoit. Pourtant, il n’a rien d’occulte : c’est la faculté la plus concrète et la plus vivante du cavalier.
Le sentiment, c’est la capacité de percevoir le cheval, non seulement par la main ou la jambe, mais par tout le corps, par la respiration, par l’attention. C’est une écoute silencieuse de ce qui se passe sous soi : la tension qui monte ou s’apaise, l’équilibre qui se déplace, l’énergie qui s’offre ou se retient. Le sentiment est une forme d’intelligence sensorielle et empathique. Il réunit la finesse des perceptions physiques et la compréhension intime de l’état intérieur du cheval.
Ressentir, c’est bien, mais encore faut-il agir ou ne pas agir au bon moment. C’est là qu’intervient l’à-propos : cette justesse du moment, cette exactitude de la réponse. L’à-propos, c’est la traduction du sentiment dans le temps, la faculté de choisir le moment favorable et la mesure minimale.
Le sentiment prépare l’à-propos ; l’à-propos accomplit le sentiment. Celui qui n’écoute pas ne peut savoir quand agir, et celui qui ne sait pas s’arrêter au moment où le cheval a compris perd la légèreté qu’il cherche. L’à-propos traduit le sentiment par la mesure et le choix du moment : demander peu, cesser dès l’offre, et parfois même récompenser l’intention avant l’action, car c’est la pensée juste qu’il faut encourager.
Le sentiment est aussi indissociable de l’équilibre, car c’est lui qui en donne la conscience. L’équilibre n’est jamais un état fixe : c’est une respiration, un mouvement perpétuel. Le cheval s’incline, se redresse, avance, se retient, cherche sa place. C’est à travers le sentiment que le cavalier perçoit ce balancement, détecte l’équilibre naissant et met en place les conditions qui le favorisent. Une fois atteint, le sentiment dicte de laisser au cheval la responsabilité de se porter, de se soutenir, de s'élever.
Le sentiment précède, l’à-propos répond, l’équilibre naît. Ensemble, ils conduisent à cette harmonie où le cheval et le cavalier ne font plus qu’un.